Les conseils de Yann Arthus-Bertrand pour devenir photographe

Aujourd’hui, je suis très heureux de vous proposer un entretien avec Yann Arthus-Bertrand ! Inutile de le présenter, je pense que tout le monde le connaît, notamment pour ses photos et ses films : “La Terre vue du ciel” et “Human“.

Yann Arthus-Bertrand © Quentin Jumeaucourt

Il a eu une vie pleine de changements de caps (acteur, directeur d’un parc animalier, éthologue au Kenya, photographe). Il s’est cherché pendant des années jusqu’au jour où il a enfin eu la chance de trouver sa voie. Beaucoup d’entre nous sont certainement dans le même cas et rêveraient de changer un jour de métier pour devenir photographe. Pour ceux qui n’osent pas franchir le pas, Yann Arthus-Bertrand a accepté de partager son expérience en répondant à mes questions :

Comment vous est venue la passion pour la photographie ?

Je voulais devenir scientifique donc je suis parti au Kenya faire une étude sur le comportement des lions dans le cadre d’un doctorat au Masai Mara, avec ma femme. Elle faisait l’écriture et moi je faisais les photos. C’est là que j’ai vraiment découvert la photographie. J’en faisais un petit peu chez moi en amateur en prenant des photos d’animaux, comme ça, mais je n’étais pas vraiment photographe.

Être tous les jours avec son appareil photo dans la nature m’a appris beaucoup de choses et je pense que tout ce que je suis aujourd’hui vient de là. Je dis souvent, un peu comme une blague, que ce sont vraiment les lions qui m’ont fait découvrir la photographie et appris la patience. Cette passion vient de là. Et au bout de trois ans au Kenya, j’ai décidé de ne pas devenir scientifique mais photographe.

Autre chose que j’ai en moi, c’est la “beauté évidente”. Je suis vraiment un photographe qui cherche à esthétiser et dans le milieu artistique, on me l’a un peu reproché. On me traitait de “Photographe de carte postale”, mais ça ne me dérangeait pas. J’aime ce côté “Beauté du Monde”. Je suis à la recherche de ça et je sais très bien que quand tu photographies la beauté du Monde, tes photos sont toujours en-dessous de ce que tu as vu. Je travaille en couleur, je ne suis pas comme Salgado. Mes photos essayent d’être le reflet de ce que je vois et, souvent, j’ai l’impression que l’on est moins fort.

Comment vous est venu le déclic pour avoir le courage de tout arrêter et vivre de la photographie ?

J’ai toujours cru en mon étoile. J’étais directeur d’une réserve et j’ai tout quitté pour partir au Kenya ; j’avais 30 ans mais ça ne m’embêtait pas. J’avais confiance en moi mais, en même temps, j’étais très opportuniste : j’ai été guide pour touristes, ensuite pilote de montgolfières. Donc, pour arriver à ce métier-là, j’ai fait d’autres métiers.

Pensez-vous qu’il y a encore une place pour les dilettantes en photographie ?

J’avais une très grande connaissance des animaux. Je les photographiais en sachant ce que je faisais, je n’étais pas un street photographer qui se balade et qui fait des photos comme ça. Mais même moi je ne connaissais rien à la photo, je ne connaissais pas Cartier-Bresson, je ne connaissais personne. Je ne connaissais que les photographes animaliers, c’est ce qui m’intéressait. C’était la grande époque de la photo : il y avait Géo, Figaro Magazine, Paris-Match et la grande découverte de la nature. Ce genre de sujets, aujourd’hui, il y en a trop mais à cette époque-là, il n’y en avait pas et très vite j’ai été embarqué comme photographe indépendant. C’était beaucoup plus facile à cette époque-là : on allait à la rédaction de Paris-Match, on demandait à faire des photos et on les montrait. Aujourd’hui, c’est vrai que c’est impossible.

Je voulais changer le monde avec mes photos

D’après vous, quels sont les facteurs qui ont conduit à votre renommée mondiale ?

Il y a toujours beaucoup de chance. J’ai fait un livre qui s’appelle “La Terre vue du Ciel” et qui a demandé beaucoup, beaucoup, d’années de travail. J’ai hypothéqué ma maison. Je savais que ce travail était un travail important alors j’ai pris des risques. La chance que j’ai eu c’est qu’aucun musée ne voulait m’exposer donc nous avons inventé les expos dans la rue ! On a fait un truc génial dans la rue Médicis, à Paris. On était les premiers photographes à faire ça. Et cette expo, on l’a mis dans 200 villes du monde. Donc la renommée mondiale est venue suite à ça. Après, j’ai fait de la télé, j’ai fait “Home“, mais la renommée est vraiment venue par hasard, par le refus des musées de m’exposer.

Quels conseils donneriez-vous aux gens qui veulent changer de vie et devenir photographes ?

Même si ma renommée est venue par un coup de chance, on avait travaillé quand même pratiquement 10 ans sur le sujet. Les photographes ne se rendent pas forcément compte qu’à travailler 10 ans sur un sujet, on a forcément quelque chose à montrer. On est toujours bon en dix ans, même si on n’est pas un grand photographe. Je pense que c’est sur la longueur qu’on est le plus fort.

Aujourd’hui, les jeunes qui sortent de l’école de photos, ils veulent être photographes tout de suite. Non, ça ne marche pas comme ça. Moi, j’ai fait d’autres métiers pour gagner ma vie. J’étais passionné, j’aimais ça ! Et tout le monde peut le faire : tu peux être chauffeur de Über et faire des photos de tes clients, de Paris; tu peux être facteur ou infirmier dans un hôpital et faire des photos formidables. C’est une question de gnaque et d’envies.

Photographe, c’est un métier formidable : c’est être journaliste, en fin de compte. En tout cas, la photo que je fais, c’est du photo-journalisme et je pense que c’est difficile, compliqué, mais c’est un rêve ! Et ceux qui ont vraiment envie de le faire, si on veut vraiment devenir photographe : il ne faut jamais négocier ses rêves.

Ce que ce métier m’a donné, c’est inouï ! Donc, je ne peux pas dire à quelqu’un : “ne fais pas ce métier, ça va être difficile”. Bien sûr qu’il faut essayer, mais ça va être compliqué. Il y a encore de jeunes photographes qui réussissent très bien. L’histoire de JR le montre bien : c’est un photographe qui explose !

Mais il faut avoir beaucoup d’énergie, il faut avoir la gnaque, il faut être passionné et savoir de quoi on parle (c’est important de savoir de quoi l’on parle). Et puis ce qui est formidable dans la photo, c’est que si tu aimes la mode, tu peux faire photographe de mode, tu peux rentrer dans un milieu que tu aimes et que tu connais bien. Idem, si tu adores la politique. La photo te permet de pénétrer un monde, c’est un métier de curieux.

Je ne me permettrai pas de dire à quelqu’un :
“c’est trop difficile, n’y vas pas”. Au contraire, il faut essayer !

En tant qu’humaniste et écologiste, quel est votre opinion sur l’avenir de l’humanité ? Êtes-vous encore optimiste ?

Aujourd’hui, cette espèce de religion de la croissance est en train de tuer le Monde. Et on en dépend tous, on en vit tous. Tous. Il y a très peu de gens qui vivent dans leur coin, qui ont un petit jardin et vivent de leur culture… On dépend des autres. Donc, on est tous acteurs de ça : il n’y a pas de lobbys qui nous oblige à gaspiller ou qui nous oblige à ne pas manger Bio… On se trompe un peu d’adversaire, selon moi. L’adversaire, c’est nous-même ! Aujourd’hui on va vers un monde extrêmement compliqué et sans doute quand il y aura trop de complexité l’entraide arrivera, l’intelligence arrivera, mais ce sera un moment difficile et on verra ce qui va se passer. C’est un moment passionnant, mais qui est super inquiétant…

Je pense qu’il est beaucoup trop tard pour être pessimiste et que ce qui est intéressant, c’est d’être acteur ! Agir rend heureux et j’essaye par tous les moyens de faire des choses. Cela ne servira peut-être à rien du tout, mais au moins : faire permet d’accepter ce qui est en train d’arriver. Je pense à avoir un comportement exemplaire, à réfléchir, en tout cas, à notre impact. Cela ne veut pas dire de ne plus prendre l’avion ou de ne plus avoir de voiture, mais d’y réfléchir. Et cette réflexion est assez complexe.

Note: Yann Arthus-Bertrand est à l’origine de la fondation GoodPlanet. N’hésitez pas à faire un don et à suivre leurs conseils éco-gestes, car “Agir rend heureux” ! 🙂

Si vous ne connaissez pas Yann Arthus-Bertrand, n’hésitez pas à lire ces livres :

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